Chronique du lundi 11 janvier 2021: La leçon d’auto-école
Mais qu’est-ce que j’ai bien pu foutimasser pour en arriver là, hébétée dans le fossé et assise à la place du mort.
– T’inquiète, tu vois, je maitrise, dit-il. -Tranquille…
Chut pas tranquille du tout ! On vient d’échapper à une collision frontale avec un tracasset. Mais ce nom n’est plus adéquat depuis longtemps. Les agriculteurs d’aujourd’hui voyagent en grand équipage. Plus leurs terres rétrécissent et plus leurs tracteurs grossissent. Sauf que les petites routes vicinales sont restées les mêmes, étroites. Si bien qu’à la sortie du virage, c’est un monchtro trakteu qui arrive en face !
-Freine ! Freine ! Freine !
Cri du cœur, remontant crescendo des tripes jusqu’à la pointe des cheveux. Mais non, il n’aime pas freiner, il préfère le bas-côté. Krénon, on a eu chaud et de la chance qu’à cet endroit, il n’était pas profond.
– T’inquiète, tu vois, je maitrise.
Sauf, qu’il ne maitrise pas du tout. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai. Il s’en sort pas mal pour un début. Mais, il n’aime pas freiner, çà non. Parce qu’après, il faut débrayer, rétrograder, s’arrêter et surtout redémarrer. Et l’embrayage n’est pas encore tout à fait son copain. Alors, on fait des exercices, parce qu’il n’est pas fortiche pour maitriser son corps. Ce n’est pas un instinctif, mais un pur cérébral. Déjà tout gamin, lorsqu’on jouait au foot, on le voyait se triturer l’esprit à l’arrivée du ballon. Comment devait-il s’y prendre ? A côté, son frère, tout à fait à l’aise, ne se posait pas de question et shootait en riant ! D’ailleurs, il l’a déjà fait son permis, le petit. En deux temps, trois mouvements, c’était plié !
Là, y a encore du boulot !
Cet exercice est redoutable ! Je parle de moi !
Lorsque je m’installe à droite, je convoque immédiatement mon père. Pas Dieu le Père, même si je suis assise à sa droite, non, mon papa qui est au ciel et qui, à n’en pas douter, du haut de son expérience, riche et professionnelle de chauffeur de camion durant des décennies veillera sur nous. J’y crois, j’en suis sûre ! Pendant que j’y suis, j’appelle aussi mon ange gardien officiel : Nanaël, il répond très souvent présent lorsque je lui demande de me trouver une place de parc, alors faut pas s’en priver. Et je remplis mon cœur d’Amour et de CONFIANCE. J’ai confiance, je respire, j’ai confiance, je respire. La peur ne doit pas entrer dans cet habitacle, j’ai confiance mais méfiance.
– Ton grand-père disait que sur la route, on ne perd jamais de temps. Il voulait dire qu’un peu de prudence ne te retarderait jamais autant qu’un accident. Parce-que tu sais, y a des follots et des toyets partout, surtout sur la route. Alors, méfiance ! Bien conduire, c’est anticiper et prévoir le coup fourré de cet agnoti qui vient de te couper la priorité !
– T’inquiète, tranquille, je fais attention…
J’ai confiance, mais j’ai tout de même la main sur le frein à main, ce qui d’ailleurs après essai s’avère complètement inutile. Donc, je ne contrôle rien ou pas grand-chose. Je scrute, j’anticipe, j’annonce les points délicats et je prie. Pas le choix, il ne me reste que Méfiance et Confiance. Et entre ces deux pôles, je balance comme un funambule sur son fil. Méfiance, confiance, méfiance, confiance.
Souvent le doute m’envahit. Est-il prêt pour les lacets du Moléson ? Il se mélange encore les mains sur le volant. Suis-je vraiment apte à juger de ses capacités ? Moi aussi, je suis débutante dans ce job. Ça craint ! Souvent, j’en mène pas large, mais ne pas se laisser envahir par la peur. Vade retro satanas !
– Aujourd’hui, on va exercer les virages, tu regardes loin et tu ramènes le volant à deux mains, comme ton prof te l’a appris. Et ne roule pas trop à droite bon sang !
Je suis déçue en bien, il ne conduit pas trop de bizingue. Fait les virages d’un seul tenant, c’est bien. Ça pèche encore aux intersections avec céder le passage ou à l’entrée des ronds-points. Il ne ralentit pas assez et j’ai beau demander de freiner, il me le fait à la one again.
– T’inquiète, j’ai bien vu qu’il n’y avait rien !
Comment lui dire qu’avec le temps, on est plus méfiant ! Parce qu’une fois, alors que le champ était libre, on en était sûr, la voiture qu’on n’avait pas vue avait pu miraculeusement nous éviter de justesse.
Après quelques temps, j’ai adopté une autre stratégie presque tout à fait inconsciemment, je l’avoue. On discute. De tout, sauf de conduite. J’adore nos conversations. C’est une calure mon neveu, chut très fière de lui parce qu’à son âge je n’étais qu’un bébé. Et là, c’est si prenant que j’en oublie tout le reste ! Ça s’appelle excès de confiance !
– T’inquiète, tranquille.
Mais, il a raison, la confiance est la clé. Si je n’ai plus confiance en moi et en mes semblables, si je pense que celui qui vient en face est un fou suicidaire qui n’attend que moi pour passer de vie à trépas, je laisse la peur m’envahir et c’est foutu. Et c’est valable pour une épéclée d’autres choses. La confiance disparaît et c’est la guerre !
Nous, on s’en est sorti haut la main et on ne s’est jamais engueulé. On n’a pas pèdzé pour autant et le 6 janvier, c’était fait, du premier coup ! Je ne sais pas qui des deux était le plus heureux et le plus soulagé !
En vérité, je vous le dis, et ce n’est pas minçolet comme conclusion :
La confiance c’est tip-top !
Et comme on a tendance à ne la distinguer que lorsqu’on l’a perdue, je vous conseille de donner une heure d’auto-école ! Vous saurez immédiatement la reconnaître !
Mais assez batoiller et bon début d’année ! Confiance, on y croit !
Evelyne Sottas
©Evelyne Sottas