Chronique du lundi 20 mars 2023 – J’ai deux nouvelles copines!
J’ai deux nouvelles copines ! Des copines collantes, encombrantes et qui ne passent pas inaperçues. À vrai dire, le genre de copines dont on se passerait bien et où l’on se dit qu’on aurait mieux fait de se casser une jambe plutôt que de les avoir rencontrées. Sauf que pour moi c’est l’inverse. J’ai fait leur connaissance sur la table d’auscultation de la Klinik Gut à St.Moritz. Eh oui, excusez du peu ! Elles ne viennent pas de n’importe où et n’apprécient pas le tutoiement, elles sont snob et guindées. Figurez-vous qu’elles poussent la coquetterie jusqu’à avoir un système de crampons pour se planter dans la glace. Je vous présente béquille droite et béquille gauche, les jumelles diaboliques. A ce stade et en aparté je me dois d’intervenir. Car s’il est habituellement assez malvenu de se moquer des malheurs des autres, ce n’est pas le cas ici et vous donne avec grand plaisir la permission de rire sans retenu.
Reprenons : Depuis que j’ai fait la bêtise de me prendre pour Dario, elles ne me quittent plus mes deux nouvelles copines. A cause de mes ligaments du genou déchirés (VKB leicht abgeflacht und MSB rupturiert, en allemand ça fait grave flipper !), elles sont là pour me soutenir. Toutefois à voir le nombre de fois où elles choient piteusement, ensembles ou seules, l’une à gauche, l’autre à droite, devant, derrière, les variables sont infinies, je suis en droit de me demander qui soutient l’autre. Elles prennent un malin plaisir à tomber et à créer ainsi des pièges vicieux pour les bipèdes aux alentours encore indemnes. On se demande si elles ne sont pas en mission souterraine pour les hôpitaux orthopédiques. Bref, je m’en méfie comme du diable mais essaie, tout aussi sournoisement, d’en tirer profit. Par exemple comme pince de préhension pour ramasser mes chaussettes ou comme prolongement de mon bras pour pousser, attraper mais cela reste assez basique. Le plus dur ce sont les piquouses. A voir l’effort psychique intense que je dois déployer pour accepter et ordonner à ma main de planter cette minuscule aiguille, j’ai peu de risque de tourner junkie quoique mes chats réagissent comme si je l’étais. Ils ne comprennent pas mon changement de statut qui est passé de bipède à quadrupède. L’une se méfie et a compris qu’elle ne devait pas rester sur le passage, quant à l’autre elle me fuit plus vite encore que d’habitude. (Aïe, je me rends compte que j’ai vérifié l’orthographe de piquouse et junkie, l’algorithme de Google va-t-il me proposer des cliniques de désintoxe ?).
Mais tout n’est pas négatif. Cette nouvelle expérience a des vertus créatrices inattendues. Par exemple jusqu’à aujourd’hui, je n’avais encore jamais réalisé qu’avec des béquilles non seulement il ne vous reste qu’une jambe mais qu’en plus, vous voilà manchote des deux mains. Essayez donc de porter votre tasse de thé sur la table du salon. Après mûre réflexion sur le sujet, je ne vois que la méthode africaine comme possibilité : droite et souple, tasse sur la tête. Le défi est important, ce sera mon chalenge pour les prochaines semaines, je vous tiens au courant en espérant que j’éviterai la clinique des grands brûlés (non ! là, vous ne devez pas rire, ce n’est pas drôle du tout !)
En attendant, je peux déjà vous faire part des solutions mises en place. Il y a tout d’abord la méthode « chien », assez instinctive qui consiste à mordre dans l’objet à déplacer. J’ai déjà croqué le journal, la brosse à habit, mon training, mes chaussettes propres ou sales et même mes chaussons, à n’en pas douter les plus gouteux. Une deuxième méthode est le tour de cou, très pratique et extrêmement seyant avec les culottes. Vous avez aussi le roulé sous les aisselles qui demande toutefois de la concentration pour fermer l’espace entre le bras et le flan tout en béquillant. Toutefois après deux pas, j’ai renoncé à déplacer ainsi la bouteille de rouge, mais pour les objets plus légers comme le tube de mayonnaise cela fonctionne bien, attention au bouchon. Avec surprise, j’ai aussi utilisé le dessous du menton pour le moulin à poivre, sans doute que cuisiner rend créatif. Et bien-sûr, la méthode St-Bernard qui consiste à se mettre autour du cou un petit panier ou un sac en toile, efficace mais qui a tendance comme par une sorte de réminiscence à vous projeter dans la peau d’une vache descendant de l’alpage décorée de sa plus grosse cloche. Pour terminer, je ne saurais oublier la méthode kangourou qui permet de transporter dans une banane ventrale votre kit de survie (natel, crayon, lunettes, couteau suisse).
Malgré toutes ses excellentes méthodes, il faut reconnaitre une lenteur accrue dans l’exécution de toutes actions, les tâches intellectuelles n’étant pour l’instant pas touchées. Un simple déplacement demande une analyse approfondie pour optimiser au maximum l’énergie dépensée. Exemple : culottes autour du cou, chaussettes entre les dents et linge propre sous le bras pour se rendre dans le dressing, retour dans la chambre avec chaussettes propres sous l’aisselle (là vous vous demandez pourquoi pas l’inverse, ben j’aime bien le goût de mes chaussettes sales, ça me fait penser à ma Gruyère natale).
Bref, je vis une aventure riche et surprenante où créativité, lenteur et patience sont les maitres mots sans oublier le plus important : l’humilité. Car la description serait tronquée de sa partie la plus essentielle : l’aide du proche aidant. Et Michèle par-ci et Michèle par-là. Elle court, elle court après les poules, après les chats, va faire les courses, m’aide pour la douche (j’ai peur de tomber) et m’apporte mon verre de vin et tout le reste. Mes seules contributions étant limitées à faire le lit, à cuisiner et à laver la vaisselle (seulement laver), tout le reste est du ressort de mon ange gardien. Un ange qui a renoncé à sa course pour rester avec moi au bord de la piste alors qu’elle tenait la forme de sa vie. Elle est médaille d’Or dans mon cœur.
Humilité, lenteur et patience, trois forces pour entrer enfin dans la voie de la sagesse. Peut-être le bon moment pour mettre en pratique sérieusement mes cours de méditation. Qui sait ? Portez-vous bien.
Evelyne Sottas
©Evelyne Sottas