Chronique du lundi 3 avril 2023 – Le pays du vélo! – Pas sûr…
(Extraits de Sérotonine de Michel Houellebecq) : « Dans les tables en terrasse on pouvait facilement distinguer le coin des Anglais du coin des Allemands, j’étais le seul Français, quant aux Hollandais c’étaient vraiment des putes ils s’asseyaient n’importe où, une race de commerçants polyglottes et opportunistes les Hollandais on ne le dira jamais assez… ». L’écriture de Houellebecq, j’adore !
Avant-propos : Le roman est, Dieu soit loué, encore un espace de liberté où l’on peut faire dire des horreurs aux personnages qui, n’en déplaise à certains, ne sont que le reflet de notre pitoyable humanité. Une chronique, c’est plus délicat et j’ai longuement hésité à vous envoyer cette dernière. Mais, au diable l’autocensure, je me lance.
Les Hollandais, un drôle de peuple donc, ma foi, je ne peux pas donner entièrement tort à Houellebecq. Pendant 15 jours en été 2021, nous avons sillonné à vélo cette région du monde. Est-ce à cause de la topographie du pays, négation de ce qu’un Suisse appelle décemment un paysage, qu’on se focalise plutôt sur ses habitants ? Peut-être une vengeance, pour chaque kilomètre avalé de travers grâce au vent de face qui a basculé la ligne d’horizon en faux plats montants ?
Jour après jour, un vent mauvais fondait sur nous en avalanche, plaine verte après plaine verte, une autre plaine verte. J’ai cru mourir d’ennuis. Heureusement qu’il y a les petites villes, toutes charmantes par ailleurs, où se restaurer et refaire le plein de Xanax. Mais dès la sortie, les mornes plaines vous plombent à nouveau le moral. Circuler à vélo en Hollande relève d’un défi psychologique, il faut s’accrocher pour ne pas sombrer dans une dépression profonde. Déjà après quelques kilomètres, la monotonie vous plonge dans un état second qui varie entre endormissement et crise de nerf ! C’est alors que vous croisez, au milieu de ce rêve immuable, des randonneurs hollandais, évidemment hollandais. A vélo, ce n’est déjà pas facile mais à pieds ! A pieds les amis ! Au secours, danger de suicide collectif pour nous Suisses dont le paysage change tous les 300 mètres. Attention ! Sérieusement, seuls des Hollandais peuvent supporter les randonnées pédestres en Hollande, faites passer le mot sur les sites touristiques, c’est une question de survie !
Vous voulez une autre bizarrerie ? Les Hollandais sont grands, très grands, immenses, je n’ai jamais côtoyé un peuple d’aussi grande taille. Pour s’en rendre compte, il faut sortir d’Amsterdam où le mélange ethnique important tend à brouiller les cartes. Arrivées dans la campagne profonde, vous les voyez de loin ces géants et ce ne sont pas des moulins. Il est courant de côtoyer, non, il est courant de lever la tête vers des femmes de plus d’un mètre huitante, et de se sentir « petit nain de jardin » pour apercevoir en tordant la nuque, le visage des hommes qui culminent à plus de deux mètres (ne pas tordre la nuque est indécent, vous êtes quasi à la hauteur de leur sexe). Un tour sur Internet m’apprend que mon observation est avérée, les Hollandais sont les plus grands du monde ! En 150 ans, ils ont poussé de 20 cm pendant que les Américains, par exemple, n’ont grandi que de 6 cm ! Eh bien, figurez-vous qu’ils se croient encore petits, ils n’ont pas pris encore la mesure de leur stature car leurs maisons sont aussi les plus étroites et les plus compactes du monde. Je ne sais pas comment ils arrivent à monter les marches des escaliers. Avec mon 38, j’arrive à peine à poser la pointe de mon soulier. Bon, j’admets avoir visité plus fréquemment de vieilles maisons que de nouvelles villas mais si je me réfère à Houellebecq et à quelques témoignages qui ont ici réclamé l’anonymat, cela correspondrait assez bien à leur caractère économe. Les Hollandais, une race de commerçants ? Oui et radins, ce qui est presque un synonyme ! Et je peux le prouver !
Nous sommes de grandes adeptes des apéros. Ce moment si réconfortant, où harassée par votre journée, vous vous accordez une pause, en terrasse si possible. Çà les terrasses, elles ne manquent pas mais pour le réconfort vous pouvez passer. N’oubliez pas votre cartouche de kleenex !
Pas une cacahouète ou chips à l’horizon, quant aux olives, 6 euros la douzaine ! Pas question. Fortes de cette constatation, nous avions pris immédiatement les mesures qui s’imposent pour pallier ce manque de courtoisie et planqué dans notre sac les denrées essentielles pour un apéro réussi ! Tout allait bien, sauf qu’un jour, sur une charmante terrasse, nous avons été dénoncées ! Oui, comme de vulgaires voleuses ! La serveuse ayant cafté auprès de sa responsable (une pimbêche aussi belle que pète sec), nous nous sommes faites grondées et remises à l’ordre comme des gamines ! J’en ai encore le Spritz qui gargouille.
Les Hollandais, une race de commerçants polyglottes et opportunistes. Rien de plus vrai. Leur langue elle-même est opportuniste. Un mélange d’allemand et d’anglais, bien facile d’être polyglotte ! Commerçants dans l’âme, au XVe et XVIe siècle, les Hollandais avait conquis la moitié du monde grâce à leurs explorateurs et à leur marine commerciale, un véritable empire colonial, si bien qu’ils sont chez eux un peu partout encore aujourd’hui. Mais alors, pourquoi viennent-ils en vacances chez nous en important tout, absolument tout de chez eux, d’où les caravanes ou les remorques qui débordent accrochées à leurs voitures. Sont bizarres non ?
Opportunistes ? Pas de doute, pour s’en convaincre consultez le menu des restaurants : Salade Caprese, Carpacio, steak-tartare, escargots, shushis, crevettes au curry vert et pad thaï, le best off de la cuisine mondiale se retrouve sur les menus hollandais. Remarquez, on ne peut pas leur en vouloir, cela nous évite la cuisine hollandaise. Car l’erwtensoep, plat traditionnel, même eux n’en veulent plus, je ne l’ai jamais vu au menu. J’ai tout de même dégusté les bitterballen et hésité longtemps pour finalement renoncer aux sandwichs au hareng cru mais je le regrette. La seule chose à retenir sont leurs fromages. Même si en comparaison du gruyère, ils sont gommeux et peu parfumés, moi j’aime bien. Surtout les verts à l’ortie ou les rouges au poivron, savourés lors de notre passage à Edam.
Bref, les Hollandais, une énigme. Ils ne sont pas désagréables mais pas très sympathiques pour autant. Nous avons traversé de nombreuses petites villes charmantes mais qui sonnent un peu creux comme un décor de théâtre après la représentation. Mais peut-être était-ce dû à la neurasthénie engendré par la monotonie de la journée ? Seule Amsterdam échappe à ce constat. Vivante, foisonnante, diverse, étonnante, elle grouille de vie et je ne vous parle même pas du port et des marins qui y passent. Rotterdam vaut aussi le déplacement et se trouve aux antipodes des villes du XVIème, moderne et futuriste. Les Pays-Bas, décidemment, une étrange contrée hétéroclite et contradictoire. Un pays de géants dans une plaine sans fin, qui englobe un peu de tout dans une lumière fadasse. En fait, tout est trop plat, même pour faire du vélo.Vous voilà avertis.
Evelyne Sottas
©Evelyne Sottas