Chronique du lundi – 19 mars 2020
Lundi 16 au matin, je me suis réveillée avec comme une gueule de bois malgré une soirée précédente proche de l’abstinence.
L’annonce du vendredi 13 mars du Conseil fédéral, concernant les restrictions de manifestation de plus de 100 personnes, comme la clientèle des bistros, bars, restaurant réduite à 50 personnes, sentait le roussi pour tous les commerces, sauf ceux fournissant les produits de première nécessité. Alors retenti soudain en moi une sonnette d’alarme qui m’expliquait que j’avais la responsabilité de deux chats et de 4 poules. Pas sûr que le Landi et le magasin Animalis soient considérés comme de première nécessité. Le sachet de croquettes ne pesait pas lourd, il fallait agir !
Je fonce à Oron, pendant que M s’occupe du Landi. Arrivée dans le centre commercial abritant Animalis, je vois avec soulagement qu’il n’a pas été dévalisé. Il reste encore beaucoup de sachets mais seulement 4 de la nourriture luxueuse de nos délicats, mais tellement choupis, persans. Délicats, oui. Il y a d’abord Cajou. Sous ce pseudo se cache en vérité Akima de la Brede de Montesquieu quant à Birkou la chelou, sa carte d’origine indique Birkin de la Vudalla, des aristochats quoi ! Cajou, autrefois habituée à briller dans les concours de beauté, a gardé certaines attitudes qui ne trompent pas. Comme ces mannequins croisant majestueusement leurs longues jambes, Cajou croise ces pattes de devant dans une nonchalance royale en trônant sur le pouf du salon. Par contre, Birkou est complètement chtarbée et autiste, impossible de la caresser mais tellement choupette qu’on ne peut que la protéger ; si peu de chose la perturbe grave qu’il faut éviter les changements surtout alimentaires. Ce petit aparté pour que vous compreniez bien combien il est important de garder un certain respect pour ces persans chez qui nous habitons.Pas question, donc, de leur changer leur régime alimentaire, il y a déjà assez d’incertitudes dans le monde sans ajouter celle de leur transit intestinal, je vous rappelle que nous parlons de Persans ! Trop ch…t quand ça arrive !
Bref, je prends 3 sachets, en laisse un pour une autre éventuelle locataire de Persans et reçoit la confirmation par la vendeuse que j’ai plutôt bien fait d’anticiper car les directives concernant l’ouverture de ces magasins sont aussi diverses que floues. Ouf, mission accomplie.
Jusque-là, j’étais encore dans un état normal. Mais voilà comment tout s’est déréglé.
Passant devant ma petite Migros et malgré le fait qu’il n’y avait aucune urgence à remplir mon frigo qui pouvait encore tenir 2 ou 3 jours au moins, j’entre dans le sanctuaire de la consommation. Je fais quelques pas et tout semble normal ! – Ouf, les gens d’Oron ont gardé la tête sur les épaules pas comme à Lucens – où le petit Denner n’a pas ouvert ses portes samedi car il n’avait plus rien à vendre, tout était parti vendredi ! Des photos, envoyées par une copine, m’ont aussi montré les étals et frigos complètement vides de la Migros de Moudon. J’ai bien entendu traité de fous tous ces gens car un virus n’est pas la guerre, la logistique et les infrastructures fonctionnent et l’approvisionnement est assuré.
Mais alors, qu’est-ce que je fais là ?
Je me rends bien compte que je débloque. Mes tripes crient pendant que ma tête raisonne, deux personnes complètement distinctes habitent mon corps. Un malaise m’envahit, je plonge en pleine crise dissociative, faut que je trouve un exorciste. Je résiste tant bien que mal à cette voix qui m’exhorte à remplir un caddy entier et ne remplis pas entièrement mon panier orange. Je ne peux toutefois me cacher plus longtemps la vérité : Je n’y crois pas mais je suis bel et bien en train de faire des réserves ! Certes modestes, 4 boites de thon, 1 paquet de lentilles et un autre de riz mais réserves tout de même. La honte envahit ma bouche d’un goût amer quand je tourne vers l’étal des pâtes. Vide, le choc. Côté sauce tomate idem. Vide aussi ! Choc. Peur. – Merde, sont vraiment fous et moi avec. Faut que je parte de cet endroit, suis dans l’antre du diable. Je croise le regard médusé d’une dame et engage la conversation (à 2 mètres). – – Ces étals vides, ça me fais plus peur que le virus ! Elle acquiesce. Comme moi, elle est ébahi et se demande, elle qui se croyait saine d’esprit il y a deux minutes, si elle n’a pas tout faut. On essaye de se rassurer et de se raisonner en faisant taire notre ventre et en activant notre cerveau. On y arrive encore tout juste. Je fuis ce temple maudit.
L’effet de groupe, psychologie des foules, effet cascade… je viens de les vivre. Faut être solide pour y résister et ça fait vraiment peur. De la même manière, je redoute et me méfie de tous ces gens qui applaudissent le personnel soignant. Ce serait les mêmes qui le lyncheraient à la moindre rumeur les faisant brusquement tomber de leur statut de saint à celui de misérable traitre. Par exemple, si on leur disait que, eux aussi ont dévalisé les pharmacies des hôpitaux en produits désinfectants pour leur usage privé et en ont donc privé l’hôpital pour le bien commun. Des gens comme toi et moi, humilité. Bien-sûr reconnaissance pour leur courage, leur fatigue, leur engagement mais sobriété.
Méfions-nous du tout blanc et du tout noir car à part le magnifique drapeau fribourgeois, rien n’est si net.
Aujourd’hui mardi tout est fermé comme l’a annoncé hier le Conseil fédéral. Terminé notre rituel du café matinal pris dans nos différents stamm : café du village, tearoom d’Oron, ce sera le jardin mais au moins on a évité le confinement comme je le craignais. Il fait un temps superbe, doux, les fleurs poussent partout. Je ne sais pas comment cela se passe pour vous qui êtes en ville, mais ici à la campagne, l’espace qui hier ne manquait pas, est aujourd’hui en expansion. Personne en vue, à peine quelques voitures. Oh, là, là…L’occasion est trop belle, impossible de résister, nous sortons nos vélos de courses. A nous la liberté, les routes désertes, le vent dans les oreilles, les cyclistes reprennent le pouvoir et leur revanche.
C’était trop beau pour être vrai. Était-ce l’appréhension de la première sortie ? A peine enfourchée qu’un affreux doute s’invite sur ma bicyclette. – On n’a pas intérêt à chuter, pas le droit à la moindre erreur, pas de place pour nous à l’hôpital. Et c’était foutu. Lorsque anxiété est au commande du guidon, hésitation t’emmène droit dans la talus, c’est connu et imparable ! Hyper prudentes et complètement crispées, nous sommes sorties indemnes de notre courte balade finalement effectuée non pas sur les grands boulevards mais sur nos petites routes habituelles.
Et s’il nous fallait encore une leçon pour nous décourager à prendre des risques inconsidérés pour des loisirs qui ne sont plus d’actualité, les paysans veillaient à nous l’inculquer. Tous, ils étaient tous de sortie. Les tracteurs avaient envahi les champs et leurs remorques vomissaient à pleine gorge purin et fumier dans un feu d’artifice fertile et pestilentiel. – Comment est-ce possible, la météo n’annonce pas de pluie ces deux prochains jours, c’est bizarre. Mais on me l’a fait pas, j’ai bien compris le stratagème : Un complot ourdi par le Conseil fédéral, mis en œuvre par les paysans : pas de confinement officiel mais des mesures très incitatives. Pour vous urbains, méfiez-vous des usines d’incinération et des vents contraires, les masques ne vont pas vous aider.
Vaincues, nous avons entreposé nos vélos et dépitées renoncé aussi au tennis qui a fermé ses portes. Enfin, façon de parler puisque notre petit club, à 100 m de chez nous, n’offre que 2 courts extérieurs. Mais tant pis : Limitons les risques est maintenant notre devise car vraiment, faut éviter à tout prix ce confinement.
Quoique, je crois avoir trouvé une parade et vais pouvoir remonter sur mon vélo en totale confiance, mue par le devoir citoyen et donc protégée par mon ange gardien ! Je me suis annoncée auprès de la pharmacie du village pour livrer les médicaments, je commence vendredi !
Et m…. ! La pluie est annoncée.
Mais avant de vous quitter, un petit test :
Est-ce qu’Evelyne est une sainte parce qu’elle va livrer les médicaments, ou est-ce une horrible opportuniste égoïste qui ne pense qu’à elle et à faire du vélo ?
Evelyne Sottas