Chronique du lundi – 11 mai 2020 – Et bien ! Dansez maintenant !
Pour dégourdir les jambes, l’humeur et le cerveau quoi de mieux que la danse ?
Alors voilà, je me suis lancée. Fallait bien que j’essaye, j’adore danser et n’avais encore jamais franchi les portes d’un club de danse ce que j’ai fait en août passé.
Le club est à Rue, à deux pas de chez moi. Et avant que tout ne s’arrête en mars, j’y allais tous les lundis soir entre 19h00 et 22h00 pour danser la country line dance et cela me manque.
Pourquoi la country ? Peut-être à cause d’un vieux fantasme de petite fille garçon manqué qui voulait être un cowboy. Alors pourquoi pas ? Le cowboy était là à portée de bottes. Bon pour l’instant, c’est plus cow que boy, mais je ne perds pas espoir.
La première fois, un peu nerveuse et timide, j’y suis allée protégée par un bon gros paquet d’aprioris :
· Des drapeaux américains côtoient de près les chemises à carreaux
· La danse country est un repaire de quadras rustres, racistes et catholiques blancs
· Pas besoin d’être souples pour taper des pieds dans des Santiags
· Un Stetson couvre chaque tête carrée
· La musique est connue, typique du folklore nord-américain, importée aux US par les émigrés irlandais et remodelée par les grands espaces sauvages.
· Ils boivent de la bière entre chaque danse.
· Ça va être facile
Je n’ai pas été déçue, j’avais tout faux, jusqu’à la dernière ligne !
Au premier regard, une petite déception m’envahit, ce n’est pas ici que je vais pouvoir jouer au cowboy. Pas de chapeau, pas de bottes, pas de drapeau et que de l’eau au bar. Les danseurs ne boivent pas, ils dansent. Et lorsqu’ils s’arrêtent en nage, ne déglutissent que des litres d’eau.
Au deuxième regard, un groupe hétéroclite de jeunes, pas nombreux les jeunes, de vieux comme moi et de plus vieux encore comme Angèle qui ne peut plus lever les bras et remue les jambes avec prudence mais qui vient chaque lundi pour sourire et bouger en rythme.
Les tenues vestimentaires sont aussi variées que celles que vous croisez dans la rue, survêt et Tshort pour certains, collants ou jupe pour d’autres et jeans et chemises pour le reste. Tout ce qu’il y a de plus ordinaire avec un point commun, des chaussures confortables.
Je l’apprendrai plus tard mais pas question de chausser les bottes pour l’entrainement sauf lorsque la date des compétitions approchent et qu’il faut s’y préparer. On ne tape pas des pieds non plus. Comme dit Antoine notre coach, il faut danser comme un chat, souple et léger, et plutôt sur la pointe des pieds. Tapez les talons et dans 6 mois vous aurez mal partout. Ils sont vraiment sympas nos coaches, Chléo et Antoine forment un couple, comment dire, étonnant, original, disparate mais uni comme le Yin et le Yang. Lui est un joyeux feu follet aux allures de Fred Astaire alors qu’elle est campée bien solide sur ses deux jambes. Il se laisse facilement emporté par sa gaité et sa créativité alors elle le rappelle à l’ordre, tel un sergent major, et dirige la leçon de façon méthodique et organisée. Mais tous deux distillent gentillesse, dévouement et bienveillance dans une ambiance décontractée et joyeuse. Un créatif et une excellente pédagogue réunis par leur même passion, la danse country, qu’ils sont heureux de nous faire partager. Et leur bonheur est contagieux, car des rires et des sourires foisonnent, pas toujours pendant les danses car souvent les visages sont crispées par la concentration des chorégraphies à exécuter mais à la fin, la joie éclate à chaque fois. C’est curieux cette unanimité alors que chacun est tellement différent !
Il y a Jean-Paul, le motard et sa collection de Tshort d’Australie. Un peu timide, un peu gauche mais toujours enthousiaste et qui souvent m’emporte dans un pas de rock endiablé.
Y a Gaspard qui est bizarre. On dirait Yogi l’ours, calme et massif. Il ne tourne presque pas la tête mais cette raideur n’est qu’apparence et recèle en son cœur un trésor de facétie et de d’humour caustique. Discret au premier abord, il distille en vérité quelques petites phrases redoutables qui font mouche à chaque fois.
Y a la belle Eloïse, tournoyante et solaire qui distille son charme à tout ce qui l’entoure, les hommes comme les femmes, sous les yeux emplis de fierté de son mari Robert, pas inquiet pour un sou. Faut dire que c’est le comique du groupe, toujours prêt à envoyer un calembour ou à faire le guignol d’une pirouette linguistique en attendant de trouver cette verticalité parfaite pour espérer en faire une avec son corps.
Y a Cécilia, petite dame originaire d’une contrée lointaine, aussi fragile qu’une porcelaine de Saxe et qu’on a peur de casser lors des danses « partners ». Car, oui, la danse country se danse aussi en couple.
Et puis Pietro, le longiligne et discret dont je ne sais rien sauf qu’il est marié à Pauline tout aussi grande et discrète. Ghislain, doux comme un agneau, ouvert et sympathique qui ne fait pas son âge mais qui, à 21h00 marque une pause, éreinté tout comme moi. Et puis, il y a Marion, blonde comme le soleil et qui danse tout pareil, habitée, comme si plus rien d’autre n’existait.
Et enfin, y a le groupe de « l’équipe bout de bois », ces gentes dames, membres de longue date, presque des pros, viennent au cours débutant pour des raisons qui m’ont longtemps échappé. De fait, elles rient beaucoup et sèment un peu la pagaille mais le plus souvent sont là pour aider les plus hésitants et soutenir nos coaches dans un esprit de loyauté et de reconnaissance. Voyez plutôt : Contrairement à ce que son nom indique, la Dance in Line tourne et même virevolte. Ainsi, celui qui se trouvait pépère caché derrière les fortiches pour les copier, se retrouve soudainement en première ligne, aspiré par le vertige de l’espace désert qui s’ouvre devant lui, gobé par son incompétence. Aussi, nos gentes dames, veillent au grain et se répartissent aux 4 points de l’horizon pour guider nos pas à chaque changement de direction.
Et puis, et puis il y a la musique qui sonne et qui résonne et qui emporte tout. Sur toutes les gammes et de toutes les régions, de toutes les époques sur les rythmes les plus variés. De la valse country au rock, du two steps à la polka en passant par le Cha-cha si bien qu’Elvis côtoie ABBA, avec des maîtres anglo-saxons de la pop, de la country et de la soul.
Comme je vous le disais, avant de mettre mon pied sur le dancefloor de ce club, je croyais tout savoir sur la country dance. Je suis devenue plus modeste et mesure à chaque séance l’amplitude de mon ignorance à l’aune des aspects multiples que je découvre peu à peu.
Même débutant, vous avez tout de suite du plaisir car vous aborderez les pas de danse dit « de base » qu’on réserve au niveau 1 soit le niveau « social ». Les pas se complexifient au fur et à mesure des différents niveaux : Newcomer, Novice, Intermediate et Advance, mais il faut plusieurs mois, voire années pour passer au niveau supérieur. Des compétitions nationales et internationales existent pour tous les niveaux. Une danse est une suite de figures, elles-mêmes constituées de plusieurs pas. Par exemple, quatre pas forment la figure appelée « Vine », elles ont toutes un nom. Un peu comme si les pas étaient des syllabes, et les figures des mots. Les débuts sont compliqués et on fait beaucoup de fautes d’orthographe. Il faut intégrer la suite des pas et le nom de la figure qui est plus ou moins éclairant : – Rocking chair – Jazz Box – Kick ball change – Charleston – Scuff, etc … (il y en a, pfuff.. près d’une centaine ? plus ?). La composition variée des figures constitue la chorégraphie unique de chaque danse.
En Dance in Line, nous n’avons pas de partenaire mais ce serait une grave erreur de croire que l’on danse seule, bien au contraire. Au début, on répète sans musique avec un rythme plus lent pour se remémorer l’enchainement et ensuite départ. La musique facilite l’intégration, enfin je parle pour moi. Mais mon défaut est que je me laisse emportée par la musique oubliant en chemin la chorégraphie. Mes camarades rament tout comme moi mais pas tous dans la même direction, ce qui donne à l’ensemble l’esprit d’un joyeux chaos.
Et puis quelques fois, tombé des nuées, se produit le miracle. Lorsque de ce chaos naît soudain l’harmonie, s’ouvre en nous un puits de conscience de faire partie d’un monde plus vaste. Les forces telluriques, les particules cosmiques et chaque cellule de notre corps participent à la perfection de l’ensemble et trouvent ainsi leur exacte place dans l’univers. L’osmose d’une connivence primitive exaltée par notre danse tribale.
Bénis soient ces instants ! Suprême récompense des Dieux.
Lorsque la musique s’arrête, retombé des nuées, une joie indicible, pure et naïve s’empare tout entier du corps de ballet et explose dans un tonnerre d’applaudissements. Voilà pourquoi cela me manque.
Le printemps du corps en mouvement, la musique et la joie, trois excellents ingrédients anti-vieillissement. Je vous les recommande sans restriction et dès que possible.
Bonne semaine.
Evelyne Sottas
©Evelyne Sottas