Chronique du lundi – 22 juin 2020 – Mission accomplie
Imaginez ! La salle est enfin plongée dans le noir. L’excitation fourmille dans votre plexus, le film commence. La musique déploie ses effets : Tintin – 🎵🎵 tintintin – tin – tin, chantonnez « Mission impossible ». Gros plan, notre chevalier met son casque, enfile ses gants, lentement, précisément, passe son armure gilet jaune fluo autour de ses épaules, regard à la caméra, yeux révolver avant de les cacher derrière ses lunettes Thommy Hilfiger.
Je me fais mon cinéma et sur l’écran de mon imagination, c’est moi le chevalier ! Désolée, on ne peut pas dire chevalière. La langue française comme l’Histoire n’a pas prévu de chevalier féminin et être une héroïne, ce qui sous-entend être bientôt morte, ne m’emballe pas vraiment. Bon tant pis. A l’heure du LGBT : lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexes, asexuelles, on peut bien oublier un peu le genre. Je suis bel et bien un chevalier, n’en déplaise aux bien-pensants. D’ailleurs mon fidèle destrier m’attend dans la cour, un flyer Next Generation, plus tout jeune mais toujours aussi brave même dans les montées abruptes grâce à sa batterie 36V et son moteur Bosch. On peut être chevalier et être à la page ! Je suis un E-chevalier. Trêve de plaisanterie, pas le temps de musarder. J’enfourche mon vélo et pédale avec un seul but en tête, rejoindre la pharmacie du village où m’attendent le matériel et les instructions de ma mission. J’entre, me désinfecte les mains et m’avance vers le comptoir. Inutile de donner le mot de passe, les agentes masquées et en blouses blanches me connaissent, j’étais là dès le début. Je charge les différents paquets dans les sacoches de ma monture, tout en préparant l’itinéraire. Eviter les allers et retours, trouver la logique qui permettra de faire une boucle, rapide, efficace. Quelques fois, il n’y a pas le choix, un frigo doit être livré sans délai. Dans ce cas, je fonce sans tarder vers ma destination, et livre à la porte, c’est l’exception, sinon je mets tout dans les boites à lait.
J’aime ce travail qui n’en est pas un. Livrer les médicaments est une mission noble pendant cette période de confinement mais ce n’est pas ce qui me motive le plus, vous l’aurez sans doute deviné. Même si je me la joue Chevalier Ivanhoé, j’ai de fortes tendances à la rébellion style Pirates des Caraïbes. D’ailleurs, je peux vous l’avouer : effectuer cette mission en voiture, ce qui heureusement ne s’est produit qu’une ou deux fois, n’a aucun intérêt. La clé du cinéma, c’est le vélo. Les sensations que me procurent ces chevauchées sont un antidote à large spectre. Elles boostent mon système immunitaire, mon humeur, une bouffée d’énergie que j’avale avec les kilomètres. Et aussi, un véritable vaccin contre l’ennui. Car oui, je l’avoue, j’ai beau critiquer et m’affliger de mes contemporains, ils m’ont manqué tous ces anonymes que je pouvais croiser au café du matin ou sur le chemin de retour à la maison.
La magie opère à chaque fois, à l’instant où je m’installe sur la selle, la sensation de liberté m’envahit. Le vent dans les oreilles, le soleil sur la peau, je respire à fond. La nature est exceptionnellement belle. Tout est en fleur, les prés, les arbres, même le ciel. Au détour d’un chemin, j’ai même découvert le cerisier du japon le plus fleuri du monde. Son propriétaire, assis sur le banc devant sa maison, me l’a confirmé.
Les médicaments dans les sacoches, j’ai l’impression d’être un globule blanc, filant à toute vitesse dans les méandres du réseau veineux du corps bien réel et un peu malade de ma région. Je connais de mieux en mieux les adresses et toutes les aspérités du terrain qui y mènent et remercie plus d’une fois monsieur Bosch. Je m’amuse à trouver des raccourcis, impossibles à prendre avec une voiture. J’en trouve plein, je me faufile dans les capillaires réunissant les divers quartiers et qui restent invisibles aux yeux des automobilistes. Je suis en osmose parfaite avec le terrain et le flux m’emporte sur un chemin oublié pour rejoindre l’adresse de ma livraison.
Ma mission terminée, je retourne à la maison, quelques fois, je suis un peu fatiguée mais toujours, je suis gonflée à bloc.
Et puis, après deux mois et demi qui m’ont semblé deux semaines, j’ai été remerciée…
Çà m’a fait tout drôle. Je crois que j’étais un peu déçue mais aussi soulagée de pouvoir reprendre ma bicyclette pour aller boire mon café matinal au bistrot du village où j’ai retrouvé mes congénères qui m’avaient tant manqué.
Aujourd’hui, cette phase extraordinaire est bien passée. Le monde a repris ses habitudes, je relis le journal, et le monde, il me désespère bien souvent. Alors, je prends ma bicyclette et je fredonne :
Quand on partait de bon matin 🎵
Quand on partait sur les chemins 🎵 🎵
À bicyclette….🎵🎵🎵🎵🎵
https://www.youtube.com/🎵eoHjQs6C4UY
Evelyne Sottas