Chronique du Lundi – 10 février – Ça y est
L’autre jour pas moyen d’y échapper. La réalité m’a frappé de plein fouet. Alors qu’elle avait déjà essayé de m’aborder à plusieurs reprises, par le flan, poliment, délicatement, je n’avais pas prêté la moindre attention à ses manœuvres stratégiques empreintes d’une diplomatie d’un autre temps, autant de douces tentatives qui se sont avérées vaines à chasser mon aveuglement. Il me fallait donc un choc et je l’ai eu. Soudain, les yeux écarquillés par la peur de chuter misérablement sur le parking de Crans-Montana, j’ai su, ça y est j’ai soixante ans !
Cette prise de conscience n’a rien à voir avec le calendrier de mes jours car mathématiquement cela fait presque 2 mois que le tocsin a sonné, mais tout avec ce drôle d’hiver trop doux qui fait fondre les dernières couches de neige la journée pour ne laisser qu’une immense patinoire de glace vive en matinée. Et je me revois, là, sur cet affreux parking, avançant cahin-caha, comme une petite vieille et rêvant d’un tintebin de luxe. Autant de petits pas, fragiles et instables, voués à la certitude du temps qui passe et à celle que je n’arriverai jamais à traverser ce putain de parking sans m’éclaffer le blair. Malgré toute ma concentration et mes efforts pour garder l’équilibre, ma figure acrobatique n’a rien eu à envier à l’impétueux Philippe Canceloro dans ses plus belles années, sauf peut-être l’atterrissage. C’est arrivé, j’ai bien soixante ans !
Je me souviens d’il y a encore pas très longtemps où je me jouais de la glace comme d’une opportunité pour retrouver ce temps béni de mon enfance où les glissades contrôlées étaient source de joies. Elles faisaient partie de nos petits bonheurs simples et gratuits et dès leurs arrivées, nous allions, mon cousin et moi, enfiler en cachette nos souliers d’été, lisses comme des miroirs, pour mieux glisser sur notre patinoire improvisée, le trottoir municipal. Même qu’on l’arrosait un peu pour rallonger notre super piste privée. Ce décalage entre ces deux images m’a soudain frappée à la volée et cette fois, j’ai bien entendu le tocsin frapper les soixante coups.
Maintenant que je suis éveillée, il est facile d’énumérer tous les signes précurseurs qui se promenaient devant mon nez, pourtant encore intact, sans que je ne les distingue. Je vous donne quelques exemples, cela pourrait éventuellement vous servir mais cette liste n’est pas exhaustive :
- L’hôtel cinq étoiles mais à 50% : Dans toute une vie de labeur, plutôt bien rémunéré pour ce que je faisais, il fallait bien gouter une fois au luxe d’un cinq étoiles. Mais le luxe, c’est comme l’héroïne, une seule fois et vous voilà accros. Toutefois à 60 ans, les revenus sont en berne et les 5 étoiles ne se visitent qu’avec des offres au rabais.
- Inscription à un marathon : Le 8 mars, si la météo le veut bien, je vais faire mon premier et dernier marathon. Pour avoir fait deux fois des semi-marathons, je m’étais juré de ne jamais tenter le double beaucoup trop destructeur pour mes genoux et mes hanches. Mais c’était sans compter sur les chants des sirènes qui susurraient à mes oreilles : Vas-y, il est encore temps mais ne tarde pas trop, 60 ans ! Toutefois, je ne suis pas encore complètement sénile et si la distance du marathon sera bien là, ce sera skis aux pieds, mode patineuse ou canards boiteux, c’est selon – ma technique en skating n’est pas encore au top.
- AVS – caisse de pension – 3ème pilier – retraite : Ces sujets reviennent systématiquement dans les conversations des soirées entre amis qui comme moi ont aussi vieillis.
- On s’inscrit à un cours d’un truc qu’on a jamais fait : Parce qu’il faut essayer, au moins une fois. J’ai plus d’un exemple me concernant mais je vous les raconterai dans d’une prochaine chronique.
- On commence aussi à faire la liste des choses qu’on ne fera jamais, soit parce qu’on en a plus envie ou simplement parce qu’on en a pas/plus les moyens.
Alors voilà, la nouvelle est donc confirmée, j’ai bien soixante ans et ma foi ce n’est pas très grave. Y a bien pire. Je vous en parle dans 10 ans.
Evelyne Sottas