Chronique du lundi 14 mars 2022 – Cinq sur cinq, ce n’est pas assez!
5cm sur 5 cm, 8 petites lignes, c’est la place donnée ce matin 14 mars par 24Heures à un naufrage en Méditerranée. 25 cm2 alors que des pages entières sont consacrées aux drames d’Ukraine. Cinq sur cinq, non, ce n’est pas assez, voilà pour eux une petite place supplémentaire.
Il semble qu’il y ait une hiérarchie dans les drames humains. Il y a des malheurs qui nous indignent, il y a ceux qui nous font peur et puis ceux qui, à force de durer, nous indiffèrent et qui n’ont droit plus qu’à 5cm x 5cm. On dirait bien qu’il y a une injustice au sein même de l’injustice ! Mais qu’est-ce qui est si différent ?
Est-ce parce que le malheur des migrants est noyé dans l’oubli par cinq longues années où rien n’a changé. La Méditerranée, la Manche, des cercueils liquides bien commodes qui ne laissent aucune trace.
- Est-ce parce que ces migrants ne sont pas nos voisins, trop loin de nous, trop différents ?
- Est-ce parce qu’ils ont la peau mate, ou même noire ébène ?
- Est-ce parce que la plupart sont musulmans ?
- Est-ce que leurs malheurs ne sont pas aussi terribles et sanglants ?
Pourtant les Syriens vivent leur dixième année de guerre, les Afghans leur vingtième année et les Erythréens, on ne sait même plus. Tous fuient la guerre, les violences, la répression, l’extrême pauvreté. J’ai lu l’autre jour que des familles Afghanes se résignent à vendre un de leur enfant pour pouvoir donner à manger aux autres. Vendre son propre enfant, juste pour manger.
Alors voilà, ne soyons pas dupes ! Et sachons regarder en face nos démons, notre hypocrisie, et s’il vous plait, arrêtons de nous gargariser de notre si belle solidarité. Un peu de retenu serait un minimum pour garder un semblant de dignité, pour accepter notre part de honte.
S’il est réjouissant et rassurant que les réfugiés Ukrainiens soient accueillis portes grandes ouvertes avec facilités administratives et gratuité des transports en commun, dites-moi comment expliquer aux autres, aux migrants, qu’il n’y a pas de place pour eux, pas d’argent.
Remarquez la différence de statut : il y a les réfugiés et les migrants. Une distinction qui s’est peu à peu effectuée pour trier le bon grain de l’ivraie. Auparavant, un réfugié était « une personne que avait dû fuir son pays afin d’échapper à un danger (guerre, persécutions, catastrophe naturelle, faim, etc..) ».
Aujourd’hui, « les réfugiés sont des personnes qui fuient des conflits armés ou la persécution. On les identifie précisément car il est dangereux pour eux de retourner dans leur pays et qu’ils ont besoin d’un refuge ailleurs. Les migrants choisissent de quitter leur pays non pas en raison d’une menace directe de persécution ou de mort, mais surtout afin d’améliorer leur vie en trouvant du travail, […]. Contrairement aux réfugiés qui ne peuvent retourner à la maison en toute sécurité, les migrants […] peuvent rentrer chez eux, ils continueront de recevoir la protection de leur gouvernement »[1]. Si je traduis, les migrants quittent leur pays, non pas en raison d’une menace directe de persécution ou de mort, mais parce qu’ils crèvent à petit feu et que cela leur devient intolérable. Si intolérable, qu’ils sont prêts à se faire arnaquer par le passeur et à risquer leur vie. Mais bien-sûr, ils peuvent retourner chez eux et mourir lentement et dans le silence.
Ils étaient au moins 44 migrants au large du Maroc ! 44 promesses de futurs engloutis irrémédiablement. Il y avait des hommes, des jeunes et des hommes plus mûrs, des pères, des fils, des frères. Il y avait aussi des femmes, des jeunes et des plus âgés, des mères, des filles, des sœurs. Il y avait aussi des bébés, oui, il y avait des bébés aussi… des innocents soudain suffoqués par l’ahurissante eau glacée. Alors cinq sur cinq dans le journal de ce matin, non, ce n’était pas assez.
[1] Définitions données par L’UNHCR L’agence des Nations Unies pour les réfugiés.
Evelyne Sottas
©Evelyne Sottas